Editorial Volume 2 – Numéro 3

Chers Collègues,
Ce dernier numéro présente des thématiques complétement nouvelles pour LA REVUE Immunité et Cancer (pharmaco-cinétique des anticorps, angiogenèse tumorale, ADN tumoral circulant, inhibiteurs de méthylation des gènes) dans des articles abordant les questions de manière didactique sous un angle fondamental et clinique, qui font la richesse du contenu de cette publication. Il illustre notre ligne éditoriale qui s’appuie sur l’actualité et fournit les outils pour mieux l’appréhender.
L’optimisation des traitements, tant sur le plan des soins que sur le plan économique, est essentielle et repose notamment sur l’utilisation de la bonne dose et fréquence d’administration du médicament pendant toute la durée du traitement. Une meilleure compréhension du devenir des anticorps thérapeutiques dans l’organisme et l’identification de biomarqueurs prédictifs et pharmacodynamiques sont des enjeux majeurs. Notre « Dossier Thématique » discute des constantes pharmacocinétiques et de la pharmacodynamie des anticorps ciblant les cellules tumorales ou les cellules du microenvironnement immunitaire utilisés dans les tumeurs solides ou les hémopathies malignes, en lien avec leur structure, leur demi-vie et leur cible. Il est clair que des études sont nécessaires pour caractériser les données de PK/PD des ICP d’utilisation récente, afin d’optimiser, sur le plan clinique et économique, leur utilisation.
L’angiogenèse tumorale est abordée sur le plan fondamental et sur le plan clinique. Son action immunosuppressive, son fonctionnement et sa régulation sont analysés dans une « Mise au point » particulièrement didactique et les essais pro-metteurs en cours d’association des inhibiteurs d’angiogenèse aux inhibiteurs de (ICP) sont présentés et discutés. Les résultats d’un essai montrant un effet bénéfique du bevacizumab associé à la capécitabine dans une cohorte de sujets âgés ayant un cancer colorectal métastatique sont présentés dans le cadre de l’article bref associé.
L’un des problèmes actuels est d’identifier les patients susceptibles de répondre aux ICP de manière fiable et efficace. L’expression de PD-L1 par les cellules tumorales est un facteur prédictif de réponse aux ICI imparfait et dépendant du type tumoral. L’un des articles brefs présente l’intérêt de l’utilisation de l’ADN circulant tumoral pour permettre une évaluation du statut microsatellitaire et de la charge mutationnelle, ce qui contournera la possible hétérogénéité tumorale au cours du temps et de l’avancée de la maladie (tumeurs primaire/métastases).
Pour la première fois aussi nous abordons la question des inhibiteurs de méthylation, maintenant qu’apparaissent des molécules relativement spécifiques. Un article Bref présente les résultats intermédiaires d’une étude de phase II du tazemetostat dans les lymphomes, un inhibiteur de EZH2, un facteur de transcription des lymphocytes, présentés au 23e congrès annuel de l’EHA. L’œil de l’interne explore un cas clinique montrant pour la première fois l’action du tazemetostat sur l’infiltration lymphocytaire CD8 chez un sujet atteint de sarcome épithélioïde métastatique.
Merci aux auteurs de ces articles, d’apporter vos connaissances, vos compétences et votre enthousiasme pour LA REVUE Immunité & Cancer !
Dernière minute :
Félicitations au Dr James P. Allison et au Dr Tasuku Honjo lauréats du Prix Nobel de Physiologie et de Médecine 2018 ! Ce prix Nobel qui couronne leurs travaux respectifs sur CTLA-4 et sur PD-1 illustre comment des découvertes en recherche fondamentale peuvent révolutionner le traitement de nombreux cancers. C’est aussi une belle récompense pour nos équipes qui travaillons sans relâche aux confins de l’immunité et du cancer.

Angiogenèse et immunité

Ces quinze dernières années ont vu le développement puis l’utilisation de traitements complémentaires aux chimiothérapies cytotoxiques en oncologie. Tout d’abord, les traitements anti-angiogéniques ciblant l’angio­genèse tumorale et principalement la famille des Vascular Endothelial Growth Factor [VEGF] et leurs récep­teurs ont été développés. L’angiogenèse tumorale favorise le développement de la tumeur via la mise en place d’un réseau vasculaire tumoral permettant l’apport des nutriments et de l’oxygène nécessaires à sa croissance, mais également en limitant la réponse immunitaire contre la tumeur. Elle agit sur la migration des cellules immunitaires vers la tumeur mais également sur le développement de mécanismes immuno­suppresseurs. Les traitements ciblant la voie VEGF/VEGFR diminuent l’immunosuppression induite par la tumeur (Lymphocytes T régulateurs et cellules myéloïdes suppressives) et stimulent l’infiltration des tu­meurs par les cellules effectrices. Beaucoup plus récemment, des stratégies d’immunothérapie anti-tumo­rale ont été développées permettant de stimuler la réponse du système immunitaire contre les cellules tumorales. De par le lien étroit entre angiogenèse et immunité, ces deux approches thérapeutiques pour­raient être complémentaires. Des combinaisons sont en cours de développement associant les traitements anti-angiogéniques aussi bien à la vaccination qu’aux inhibiteurs de checkpoints immunitaires. Les premiers résultats des combinaisons semblent encourageants tant en ce qui concerne le contrôle de la maladie et la survie dans différentes localisations tumorales.

Relations PK/PD des anticorps monoclonaux thérapeutiques utilisés en cancérologie

Les anticorps monoclonaux utilisés en cancérologie, qu’ils soient de thérapie moléculaire ciblée, couplés à des cytotoxiques ou dirigés contre les checkpoints immunitaires, présentent une pharmacocinétique complexe essentiellement déterminée par leurs caractéristiques physico-chimiques. Des études démontrent l’existence de relations pharmacocinétiques-pharmacodynamiques pour nombre d’entre eux. Même si celles-ci mériteraient d’être plus nombreuses et d’être menées dès les phases cliniques précoces de manière prospective, elles indiquent la nécessité d’intégrer les données pharmacocinétiques des biothérapies dans la prise en charge thérapeutique des patients atteints de cancer pour en optimiser l’utilisation.

Epigénétique, microenvironnement tumoral et immunothérapie : à propos d’un cas clinique

Les modifications épigénétiques jouent un rôle majeur dans le développement des tumeurs. Certaines de ces modifications peuvent être ciblées par des agents anti-cancéreux ciblant la structure de la chromatine et des protéines qui lui sont associées. Plusieurs études suggèrent que les traitements épigénétiques peuvent également avoir une action immunomodulatrice favorisant la réponse immune anti-tumorale. Nous rapportons ici un cas clinique illustrant l’action immunomodulatrice d’une nouvelle classe de traitement épigénétique : les inhibiteurs d’EZH2.

Inhiber EZH2 grâce au tazemetostat : un lien entre épigénétique et immunothérapie ?

Enhancer of zeste homolog 2 (EZH2) est la sous-unité catalytique du polycomb repressive complex 2 (PRC2), responsable des remaniements de la chromatine, et particulièrement de la triméthylation de la lysine 27 de l’histone 3 (H3K27me3, Figure 1). Ainsi, EZH2 est un répresseur transcriptionnel et joue un rôle certain dans la genèse de nombreux cancers. EZH2 est nécessaire au développement des centres germinatifs et les mutations activatrices d’EZH2 contribuent à la lymphomagenèse dans un modèle murin. En clinique, les mutations gain de fonction d’EZH2 sont observées chez 10 à 30 % des lymphomes folliculaires (LF) et des lymphomes diffus à grandes cellules B (LDGCB) de type GC. Le tazemetostat (EPZ-6438) est le premier inhibiteur oral sélectif d’EZH2 (muté ou non) qui a démontré une efficacité préclinique in vitro et in vivo.

Utilisation du bevacizumab chez les patients de plus de 75 ans porteurs d’un cancer colo-rectal métastatique : une étude gériatrique dédiée

Le cancer colorectal (CCR) se développe fréquemment chez le sujet âgé de plus de 75 ans avec une proportion estimée à 40 % en France pour l’année 2012 . Bien que la faisabilité de la chimiothérapie soit établie chez le sujet âgé, elle reste sous-utilisée en France aussi bien dans les formes localisées que métastatiques . Le schéma de traitement optimal des formes métastatiques reste à définir chez ces patients qui présentent fréquemment des comorbidités et un sur-risque de toxicité des chimiothérapies cytotoxiques et des thérapies ciblées. Une analyse de sous-groupe de l’essai AGITG MAX et l’essai randomisé de phase III AVEX ont évalué l’intérêt de l’ajout de l’anti-VEGF bevacizumab (B) à de la capécitabine chez des sujets âgés ayant un CCR métastatique (CCRm) avec un bénéfice en faveur de la bithérapie. Ainsi, dans l’essai AVEX, seule étude randomisée uniquement dédiée aux sujets âgés, la survie sans progression était significativement allongée dans le bras B + capécitabine (9,1 vs 5,1 mois ; p < 0,0001), de même que le taux de réponse objective et le taux de contrôle tumoral. On notait néanmoins un taux d’événements thromboemboliques artériels et veineux plus élevés dans le bras B. Les points faibles de cette étude étaient l’absence d’évaluation de la qualité de vie et la non-utilisation d’un score gériatrique, paramètres essentiels à prendre en compte pour évaluer le bénéfice clinique chez le sujet âgé.

L’ADN circulant : un biomarqueur prédictif de réponse à l’immunothérapie ?

Contexte

L’immunothérapie est en pleine expansion aujourd’hui en cancérologie, la sélection des patients bénéficiant réellement de cette thérapeutique est un enjeu majeur. Les marqueurs tumoraux faits en immunohistochi­mie [PD-1 et PD-L1] sont peu robustes, il est donc judicieux de rechercher du côté de l’ADN circulant pour sélectionner les patients à mettre sous inhibiteur de checkpoint immunitaire [ICI].

Objectifs

Ce commentaire a pour premier objectif  de comprendre  l’intérêt  reconnu  de l’ADN circulant  en oncologie. Et dans un second temps de visualiser les voies de recherche concernant l’ADN circulant comme biomar­queur prédictif de la réponse à l’immunothérapie via l’analyse du statut microsatellitaire et de la charge mutationnelle [CM] tumorale.

Résultats

L’ADN circulant tumoral [ADNct] a une valeur pronostique validée tandis que la valeur prédictive reste plus débattue. Le travail sur la cinétique en cours de traitement de cet ADNct paraît prometteur mais reste encore à affiner. De manière plus spécifique aux ICI, l’ADNct pourra bientôt prédire la réponse tumorale en sélec­tionnant les patients porteurs d’une tumeur MSI ou ayant  une CM élevée avec  de nombreuses  techniques en cours de développement. Ce travail sur l’ADN circulant permettra à l’avenir de s’affranchir de l’hétéro­ généité tumorale et également de surveiller un éventuel changement dans le temps du statut  MSI.

Conclusion

L’ADNct a déjà trouvé sa place dans certaines indications en oncologie et a encore de nombreux avantages  à nous révéler pour utiliser au mieux l’immunothérapie, notamment grâce au « MSI circulant ».