Editorial

Chers collègues,
Nous sommes au lendemain du congrès de l’European Society for Medical Oncology (ESMO) qui a réuni en présentiel à Paris et en virtuel plus de 20 000 participants avec un excellent programme, illustrant la vitalité et la qualité de la discipline en Europe. LA REVUE Immunité & Cancer y était représentée. Pour la première fois, une étude de phase II a présenté un taux de réponse pathologique majeure à l’immunothérapie atteignant les 90 % (essai de phase II Niche chez des patients ayant un cancer du côlon non métastatique MMR déficient ayant reçu ipilimumab + nivolumab avant la chirurgie). À côté des inhibiteurs de checkpoint à base d’anticorps entiers, les nouveaux immunomodulateurs sont entrés en force lors de cet ESMO 2022, qu’il s’agisse des produits de nature cellulaire ou de constructions hybrides constituées de fragments d’anticorps, éventuellement couplés à des cytokines. Tous utilisent les propriétés effectrices des cellules T ou des cellules NK pour combattre le cancer. La lecture de ce numéro exceptionnel essentiellement tourné vers ces nouveaux produits va vous permettre de prendre connaissance de l’ensemble du champ et des résultats cliniques obtenus ou en cours, résumés et discutés par les experts de la discipline. Les CAR-T cells ont fait leur preuve dans les hémopathies malignes.

Apport des marqueurs de la biologie moléculaire dans la réponse à l’immunothérapie

L’immunothérapie a profondément modifié les paradigmes thérapeutiques du cancer, améliorant sensiblement la survie des patients dans de nombreuses pathologies, que le stade de la maladie soit avancé ou précoce. Néanmoins, nombreux patients ne tirent pas de bénéfice à ce traitement qui peut avoir des effets indésirables importants. Pour identifier ceux qui en bénéficieront, il est primordial de se doter de biomarqueurs prédictifs de réponse à l’immunothérapie. L’expression immunohistochimique de PD-L1 sur les cellules tumorales, immunitaires ou sur les deux types cellulaires est actuellement le biomarqueur standard dans la plupart des pathologies tumorales. Mais il est sans cesse remis en question devant l’absence d’harmonisation des techniques et scores utilisés, la reproductibilité de l’interprétation du marquage parfois variable et le caractère inductible de son expression. De plus, des réponses cliniques aux inhibiteurs de checkpoints ont été observées chez des patients dont la tumeur n’exprimait pas PD-L1 et vice versa. D’autres biomarqueurs moléculaires ont fait leurs preuves et d’autres émergent, basés sur différentes techniques de séquençage à haut débit de l’ADN ou de l’ARN. Nous décrirons ces biomarqueurs, leurs indications et limitations.

Thérapies cellulaires innovantes dans les tumeurs solides : CAR-T cells, TCR transgéniques, et autres produits : des premiers résultats intéressants mais encore beaucoup de recherche et de développement nécessaires !

Les lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T) sont une révolution thérapeutique dans les hémopathies malignes. Dans les tumeurs solides, malgré un développement depuis plus de 15 ans pour certains produits comme les CAR GD2 ou les CAR HER2, les premiers résultats des phases I ont été décevants. Très récemment, de nouveaux produits – CAR GD2 de nouvelle génération et injectés in situ dans les gliomes malins, CAR-T dirigés contre de nouvelles cibles comme la Claudine 6 et couplés à un vaccin ARNm, lymphocytes T à TCR transgénique (TCR-T) dirigés contre les antigènes du cancer testis dans les sarcomes, et TCR-T spécifiques de néoantigènes tumoraux – semblent prometteurs avec des premières réponses encourageantes, parfois complètes et durables. Les défis sont cependant majeurs dans le développement de ces médicaments « vivants » et « ciblés ». Les CAR/TCR idéaux doivent être : i) capables d’atteindre la cible tumorale puis de s’infiltrer et de s’activer dans le microenvironnement tumoral hostile, ii) adaptés à l’hétérogénéité tumorale afin de limiter le risque de résistance, iii) puissants, capables d’une expansion et d’une persistance adaptée au burden tumoral et à la maladie, iv) spécifiques pour limiter le risque de toxicité on-target off-tumor et v) disponibles et « prêts à l’emploi » pour le maximum de patients. Néanmoins, ces CAR/TCR seront très certainement un outil majeur de l’arsenal thérapeutique dans les prochaines années et notamment grâce aux avancées des biotechnologies modernes.

Immunothérapie et cancer de vessie : question de séquence ? Question d’agent ?

L’immunothérapie dans le traitement des carcinomes urothéliaux métastatiques fait désormais partie des standards. Si la chimiothérapie par sels de platine reste la référence, tout en privilégiant le cisplatine chaque fois que cela est possible, les anti-PD-1/PD-L1 ont trouvé leur place soit 1) en situation de seconde ligne après échec des cytotoxiques, avec le pembrolizumab, soit 2) en situation de première ligne en entretien après bénéfice clinique (réponse ou stabilisation) sous chimiothérapie, avec l’avelumab. Le bénéfice potentiel des combinaisons de chimiothérapie et immunothérapie a été évalué dans le cadre d’essais thérapeutiques, dont l’essai GCisAve (NCT03324282). À ce jour, cette approche combinée n’a pas mis en évidence de supériorité à la chimiothérapie seule. D’autres résultats sont en attente. Nous rapportons le cas d’un patient traité dans le cadre du protocole, dont les résultats n’ont pas encore été présentés. Après une réponse satisfaisante intermédiaire après 3 cycles, confirmée après 6 cycles, ce patient a présenté une progression rapide et sévère avec l’apparition de nouvelles métastases hépatiques et ganglionnaires dans les 4 semaines au décours de la dernière cure de traitement par gemcitabine-cisplatine-avelumab. Après discussion avec le patient, compte tenu d’options thérapeutiques limitées à l’époque de la prise en charge, il a été convenu de rechallenger l’immunothérapie malgré cet échappement précoce. Le pembrolizumab a donc été prescrit en situation de seconde ligne, avec une surveillance étroite compte tenu des risques de progression. Après 2 cycles seulement l’imagerie mettait en évidence une réponse sur l’ensemble des lésions. Après 6 cycles la maladie était en réponse complète morphométabolique. Le traitement a été poursuivi jusque récemment, avec une durée totale de 24 mois. Cette évolution inattendue et heureuse sous pembrolizumab après traitement par chimiothérapie-avelumab vient bousculer les idées reçues de sensibilité/résistance aux traitements comme cela a été déterminé avec les sels de platine. Ainsi une progression dans les 6 mois de la fi n de traitement défi nit une maladie platino-résistante sans indication de rechallenge de la chimiothérapie, contrairement à une maladie contrôlée au-delà de 12 mois définissant la platino-sensibilité et l’intérêt d’une reprise au moment de la progression du platine. Des données supplémentaires sont nécessaires concernant l’efficacité de la reprise de l’immunothérapie. Cette question pourrait devenir une question de routine, car le nivolumab devrait bientôt être prescrit en situation adjuvante. Ce cas est l’occasion de refaire le point sur les indications de l’immunothérapie, en situation métastatique.

Nouvelles technologies des anticorps hybrides, au-delà des bispécifiques : les anticorps trispécifiques en phase clinique

JUSTIFICATIFS ET OBJECTIFS
Au cours des 30 dernières années, les anticorps (Acs) thérapeutiques ont révolutionné le domaine de la thérapie antitumorale. À ce jour, plus de 100 Acs monoclonaux (AcMs) ont été approuvés par la FDA (Food and Drug Administration, Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) dans le traitement de plusieurs pathologies, incluant le cancer. Les AcMs se fixent de façon spécifique à un seul antigène, et la cellule cible est éliminée par des effets neutralisants ou pro-apoptotiques, mais également par l’intermédiaire de la cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps (ADCC), la cytotoxicité dépendante du complément (CDC) et la phagocytose dépendante des anticorps (ADCP). Inspirés par le succès des AcMs, d’autres formats d’Acs ont été par la suite développés, tels que les anticorps conjugués à une drogue (ADC) ou les anticorps bispécifiques (Bi-Acs), pouvant se fixer simultanément à deux antigènes différents. Il existe plusieurs types de Bi-Acs :

Anticorps bispécifiques versus CAR-T cells en oncohématologie

INTRODUCTION
L’immunothérapie est sans aucun doute la révolution de ces dernières années pour le traitement du cancer. Cette nouvelle classe thérapeutique comprend différentes approches, dont la plupart sont basées sur les lymphocytes T. Alors que les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire ont été approuvés dans une large gamme de tumeurs solides, d’autres immunothérapies, telles que les chimeric antigen receptor (CAR)-T cells et les anticorps bispécifiques, n’ont été approuvées que pour le traitement d’hémopathies malignes. Les
mécanismes d’action des CAR-T cells et des anticorps bispécifiques reposent sur la réorientation de la spécificité de cellules effectrices de l’immunité contre un antigène tumoral grâce à l’utilisation de fragments d’anticorps. Les CAR-T cells sont des lymphocytes T génétiquement modifiés pour exprimer un récepteur chimérique à l’antigène…

Les cellules NK, de nouvelles cibles pour les immunothérapies

Les cellules NK (Natural killer) sont des cellules effectrices spécialisées du système immunitaire qui jouent un rôle essentiel dans l’élimination des cellules tumorales. À la différence des cellules T, l’activation des cellules NK ne requiert pas les mécanismes de présentation de l’antigène. Leurs fonctions cytolytiques et de production de cytokines ont suscité le développement d’outils permettant de les manipuler à des fins thérapeutiques. Actuellement, plusieurs équipes cherchent à mettre au point de nouvelles immunothérapies ciblant les cellules NK. Nous présentons ici la biologie des cellules NK, leur rôle dans les tumeurs ainsi que les nouvelles thérapies développées ciblant les cellules NK.